Littérature en querelle(s) : le désaccord comme catégorie productive – Workshop d’un réseau international de chercheuses et chercheurs à Aix-Marseille Université

Avons-nous désappris l’art de la querelle ? Georg Simmel soulignait l’importance fonctionnelle du conflit pour les structures sociales et leur cohésion et mettait en avant la valeur intrinsèque de la querelle comme forme d’interaction sociale. Mais il suffit de jeter un coup d’œil au paysage médiatique actuel pour constater la tendance à la polarisation des débats politiques, sociétaux, culturels ou encore scientifiques : la communication au sein des sociétés est structurée selon des oppositions radicales et des différends irréconciliables. Dans le contexte d’une économie de l’attention limitée, le désaccord, qui nécessite un minimum de consensus, est à peine audible.

La querelle peut être définie comme un désaccord qui en même temps crée une unité entre les adversaires. De ce point de vue, l’objet de la querelle ne doit pas seulement valoir la peine d’être évoqué, mais bien d’être disputé. Parmi les différentes formes d’expression du conflit, la querelle possède des qualités spécifiques : contrairement à l’antagonisme ou à la révolte, elle garde une certaine ouverture sémantique qui permet d’envisager qu’elle soit initiée de manière consensuelle ou alors vidée sur le mode du comme si. On connaît ainsi depuis l’Antiquité les joutes poétiques au sujet de la poésie. Mais la querelle, en tant que méthode d’enseignement, altercation verbale ou ars invectiva traverse tous les genres et développe une performance et une esthétique qui lui sont propres.

Outre le travail sur les concepts et leur traduction dans différents contextes, le workshop s’intéressera aux relations entre littérature et querelle dans ses évolutions culturelles. Il s’agira de s’interroger sur la manière dont la littérature contribue à façonner les catégories de querelle et de désaccord. Dans quelle mesure la littérature participe-t-elle de la tendance à la polarisation, comment parvient-elle à affirmer ses propres moyens stylistiques et stratégiques d’intervention ? Existe-t-il une sorte de compétence littéraire dans le domaine de la querelle ?

Le workshop se penchera sur ces questions en envisageant particulièrement quatre aspects : (1) La rhétorique et la littérature fournissent depuis l’Antiquité des modèles d’articulation et de négociation des désaccords, depuis les débats sur l’agonistique (c’est-à-dire l’art et la capacité à entrer en compétition avec les autres), l’éristique (la forme non objective de la querelle et de ses techniques) et la dialectique chez Platon et Aristote, en passant par la littérature médiévale de la dispute jusqu’à l’actuel battle rap. Comment ces formes codées de querelle se développent-elles et sur quel type de conflit reposent-elles ? Quel rôle jouent les règles de la rhétorique puis, à partir du XVIIIe siècle, de la polémique dans les représentations et mises en scène littéraires des querelles ? (2) On touche là à la question de la fonction de la littérature face à la querelle et aux désaccords, qui peut être envisagée à la fois sous l’angle de la médiation et de la catalyse : quand et comment la littérature intervient-elle dans les conflits qui traversent la société ? La littérarisation d’un conflit permet-elle de l’ordonner et de le dompter ou contribue-t-elle au contraire à le désinhiber et à l’enflammer ? La littérature offre des espaces de négociation et de différenciation en misant sur la polyphonie et le changement de perspective ; mais elle peut également recourir à la surenchère verbale et rhétorique et ainsi exacerber les tensions. (3) Où et sous quelles formes les textes littéraires sont-ils susceptibles de déclencher des querelles ? Cette question touche à la nature et à la fonction de la littérature, sans cesse renégociée dans différents contextes historiques et culturels. (4) La littérature et ses acteurs ont été et sont eux-mêmes l’objet de querelles : outre les formes institutionnalisées et ritualisées de débat sur la littérature, dans la critique audiovisuelle notamment, de nouvelles formes de débat (ou de non-débat) sur la littérature se sont établies au cours des dernières décennies, en particulier dans le cadre de la culture participative promise par l’internet et les réseaux sociaux. Quelles interactions existent entre les querelles sur la littérature et les querelles en littérature ?

Le workshop entend ouvrir un espace de discussion et de conceptualisation de la relation entre littérature, querelle et désaccord à partir d’une série de communications ouvertes au public.

Lieu : Faculté ALLSH – 29, av. Robert Schuman – Bâtiment multimédia: salle de colloque 1

Programme:

Jeudi 30 novembre

14h00	Accueil et introduction
14h30	Mona Körte : Aufruhr verzeichnen: Streit/Dissens – ein Gegenstand der Forschung?
15h00	Emmanuelle Terrones : Der unmögliche Streit: Ruth Klügers weiter leben
15h30	Sebastian Schönbeck: Aufstand, Kampf, Streit. Formen der Widerrede bei Anna Seghers
16h00	Pause
16h30	Stephan Krause : Dissens und Konkurrenz in der ‚Wissenswette‘ (Siegfried II/2)
17h00	Lisa Brunke : Polyphonie des Streits – Néhémy Pierre-Dahomeys Combats (2021) und das postrevolutionäre Haiti
17h30	Sophie Picard : Streit und Performance / Martin Muth : DAI BEIT¡ KLUP-Performances

Vendredi 1er décembre

Workshop interne du réseau de chercheuses et chercheurs

Organisation :  Sophie Picard : sophie.picard@univ-amu.fr et Lisa Brunke : lisa.brunke@univ-amu.fr

Entrée libre.

Organisé par le Département d’Etudes Germaniques et les lectrices DAAD en coopération avec le Centre Franco-Allemand de Provence.